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ALIMENTATION ET STÉRÉOTYPES SEXUÉS

Corps, Masculinités
Collège, Lycée

Introduction

" Qu’est-ce que vous appelez la « pensée magique » autour de l’alimentation ?

Nora Bouazzouni : C’est le fait de consommer un aliment non pas pour ses propriétés nutritionnelles mais pour sa charge symbolique. On absorbe un aliment pour absorber ses pouvoirs.

Ce sont des croyances profondément ancrées dans nos sociétés et sur lesquelles s’appuie le marketing. Les céréales nous procurent de l’énergie (« Frosties et le tigre est en toi »), la viande, de la force (« Charal, vivons fort »), les yaourts, la santé (« Danone, être mieux chaque jour »).

La viande rouge est l’aliment le plus chargé symboliquement car il y a l’idée d’absorber l’essence vitale de l’animal, son sang, sa puissance – on dit bien « fort comme un bœuf » –, d’asseoir sa domination sur la Nature. Elle possède une forte dimension viriliste, et ce n’est pas un hasard si en France les hommes mangent deux fois plus de viande rouge que les femmes.

Les légumes sont au contraire perçus comme passifs, inoffensifs, et on entend encore dire que les végétariens sont apathiques, faibles, pâlots. On parle bien d’un état « végétatif » ou l’on dit péjorativement d’une personne dans le coma qu’elle est « un légume ».

Il y a un mythe persistant autour de la protéine animale qui serait la seule valable. En France, un plat sans viande est encore appréhendé comme incomplet et, sur les dix plats préférés des Français, le seul qui ne comporte pas de viande, ce sont les moules-frites.

Les végétariens seraient ainsi carencés, alors qu’on ne va jamais s’interroger si les gens qui mangent de la viande deux fois par jour sans aucun légume ont des carences alimentaires..."

... Selon l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation), la quantité consommée par groupe d’aliments est presque identique chez les hommes et les femmes, mais ces dernières privilégient yaourts, fromages blancs, compotes, volailles et soupes. Les hommes préfèrent les produits céréaliers (pâtes, pain, riz), viandes rouges, charcuterie et pommes de terre.

Les modèles alimentaires masculins sont synonymes d’hédonisme, d’autonomie et de liberté individuelle. Et notre socialisation genrée fait que chez les femmes, le seul comportement acceptable et approprié est de manger des choses saines, proprement et en petites quantités.

Pour performer son genre, l’homme se doit de manger beaucoup (38 % de plus que les femmes en termes d'apport énergétique), surtout de la viande. Les femmes vont pour leur part faire preuve de retenue, voire se priver, en vue de souscrire aux normes de minceur.

En somme, la féminité hégémonique est structurée autour de la restriction de la faim et la masculinité, d’un appétit vorace..."

Source (Médiapart 2021)

   

Nos choix alimentaires sont-ils seulement dictés par nos goûts ? Si aujourd'hui beaucoup de personnes choisissent aussi leur alimentation en fonction de leurs convictions politiques et écologiques, il reste que, derrière nos choix alimentaires, subsistent d'anciennes croyances qui perpétuent des stéréotypes sexués (*). Par exemple : les hommes auraient besoin de plus de nourriture que les femmes, un homme aurait besoin de viande, les femmes préfèreraient les fruits et les légumes, etc.

... stéréotypes sexués confirmés par l’étude individuelle sur les consommations alimentaires de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) de 2017. Les femmes privilégient yaourts, volaille, soupes, jus de fruits et boissons chaudes. Quant aux hommes, ils sont plutôt amateurs des autres viandes, fromages, crèmes-desserts, charcuterie, sandwichs, mais aussi des boissons sucrées et alcoolisées...(Source)

Selon Catherine Vidal, neurobiologiste

... les goûts alimentaires ne sont pas fixés dans le cerveau des enfants à la naissance : « La façon dont se développent les goûts est forgée par la culture. Dans toutes les sociétés humaines, il y a un certain nombre de normes, prescriptions et interdits alimentaires qui ne sont pas les mêmes pour les hommes et les femmes». Notre cerveau, et donc nos goûts, se façonnent en fonction des normes sociales, du fait des capacités de plasticité cérébrale...
(source)

Manger est ainsi une façon d'affirmer son identité sexuée, de performer son genre en se conformant aux attentes et choix correspondants; ainsi, au restaurant, un homme mangera plus volontiers de la viande ou un plat épicé (virils), alors qu'une femme choisira des haricots (légers) plutôt que des frites (nourriture pas saine). On peut accepter qu'une femme ait un "bon coup de fourchette" si elle est mince. A l'opposé une femme grosse qui mange des frites sera jugée et on lui reprochera son manque de volonté (elle devrait manger léger pour maigrir)

...les hommes mangent épicé pour montrer aux autres qu'ils mangent épicé, dans le but d'obtenir une forme de validation de leur résistance au feu du piment. Dans le même temps, les femmes qui consomment le même plat le font seulement pour leur plaisir personnel.
http://www.slate.fr/story/217530/nourriture-epicee-symbole-virilite-scoville


Un tour dans les rayons des supermarchés où le marketing genré fait des ravages suffit à nous renseigner sur ce qui est de l'ordre du masculin et de l'ordre du féminin :

  • pour les hommes : les plats épicés, forts en goût, riches;  une nourriture qui "tient au corps" car l'homme a besoin de se dépenser (pourtant quelle différence entre un employé de bureau et une employée de bureau en termes de dépense d'énergie? la dépense d'énergie dépend avant tout du métier effectué); c'est une nourriture qui apporte de la force, de l'énergie.
  • pour les femmes : une nourriture allégée, des vitamines, des fibres pour un bon transit, de la légèreté, de la fraicheur, des fruits et des légumes issus de la nature,... 

De même les publicités mettent en scène des hommes qui mangent avec les mains des hamburgers saignants sans peur de se salir ou des céréales ultra sucrées qui les transforment en lion alors que les femmes dégustent avec délicatesse (et sensualité) des yogourts qui les font frémir de plaisir (et les gardent minces car là est le message essentiel, IL FAUT ETRE ET RESTER MINCE QUAND ON EST UNE FEMME).

Ainsi, les ados garçons "mangent comme 4" c'est bien connu, ils ont des besoins car ils sont en pleine croissance alors que les filles au même âge commencent des régimes alimentaires et doivent très vite apprendre à garder la ligne.

Ces croyances alimentaires ont des conséquences sur la santé : trop de viande, de charcuterie, de plats lourds ou gras, sont néfastes et favorisent les cancers, le cholestérol et les problèmes cardio-vasculaires. Il existe aussi un danger à consommer de manière non supervisée des produits censés donner de la masse musculaire.

Chez les filles, les troubles du comportement alimentaire apparaissent très tôt et sont alarmants (souvent elles ne mangent pas assez, elles apprennent à se priver et en sont fières).

Les garçons sont encouragés à prendre du muscle alors que les filles sont encouragées à perdre du poids.

Illustration parfaite sur cette affiche promotionnelle pour une salle de sport  

Un homme et une femme en tenue de sport sont vus en plongée. A côté de l'homme le slogan "Se muscler", à côté de la femme le slogan "Mincir"

L'alimentation dépend aussi des ressources économiques et de l'appartenance sociale 

"... On devine aussi que ce sont plutôt les classes diplômées et urbaines qui ont une alimentation plus végétale. Les légumes frais sont chers et demandent du temps – et donc de l’argent – à cuisiner.

Alors que manger de la viande était autrefois un symbole social de richesse, d’opulence, et que le légume était associé à un aliment de pauvre cultivé dans les potagers, aujourd’hui se nourrir uniquement de légumes est un signe de distinction de classe..." Source

Et aussi 

... Le plus fort taux de consommation de viande se trouve donc aujourd’hui au sein de la classe ouvrière : « L’idée que ne pas manger de viande c’est être mal nourri persiste au sein des catégories sociales les plus populaires, explique Laurence Ossipow, anthropologue, professeure à la Haute école de travail social de Genève [1]. Aujourd’hui, l’accès à des produits carnés, même s’ils ne sont pas toujours de bonne qualité, est facilité. Dans de nombreuses familles, la consommation de viande reste régulière car elle demeure un facteur de désir et est perçue comme une forme de privilège auquel il paraît difficile de renoncer. » Source


LA VIANDE

La bidoche (autrement dit la viande rouge, voire saignante) c'est pour les hommes qui en auraient besoin car ça donne de la force et les vrais hommes sont forts.  Pourtant, du fait de leurs menstrues, les femmes ont plus besoin de fer que les hommes, fer contenu, entre autres, dans la viande rouge et les abats (Note : Les besoins quotidiens en fer de l'adulte sont d'1 mg environ chez l'homme ; de 2 mg environ chez la femme entre la puberté et la ménopause, en raison des règles.)

Les femmes préfèreraient la viande blanche...

L'homme, le chasseur, le guerrier se nourrit d'animaux pour incorporer leur force et renforcer ainsi son pouvoir sur l'animal et sur la femme qui se contenterait de baies et de végétaux... une image remise en question en 2018 par l'anthropologue américain Randall Haas qui a découvert qu’un bon nombre de chasseurs préhistoriques des Amériques étaient en fait des femmes...

La cuisson de la viande, c'est aussi une affaire d'hommes ; le barbecue, dans le jardin, (espace extérieur) est leur domaine réservé quand les femmes s'affairent à la cuisine pour préparer des salades (espace intérieur)... Le barbecue favorise la convivialité, le lien social, il est l'occasion de réunions entre voisins, de célébrations alors que l'intérieur c'est l'espace domestique sur lequel veillent (règnent) les femmes.

POP MODÈLES - La virilité sur le grill

 
En septembre 2022, ces propos de la députée Sandrine Rousseau ont provoqué un tolé et lui ont valu une vague de harcèlement sur les réseaux sociaux: « changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité »

 En décembre 2023, à propos de son nouveau livre Mangez les riches, la lutte des classes passe par l'assiette, Nora Bouazzouni revient sur cette polémique dans un article de BASTA! :" 

" Quand on oppose à Sandrine Rousseau de façon extrêmement violente que la viande n’est ni un marqueur de genre ni un marqueur viriliste, c’est éminemment faux.

Ça fait très longtemps qu’on le sait. Nier cette évidence montre à quel point il y a une sensibilité à ces questions, une sensibilité qui relève de l’insécurité identitaire. En touchant à la viande, on ne touche pas qu’à la viande : on touche à la culture française et on touche aux privilèges masculins...

... 

Le végétarisme, en France, c’est 3 % de la population. Le véganisme, ce n’est même pas 1 %. On se bat contre qui ? Qu’est-ce qui menace ces gens ? La seule menace qui pèse sur eux, c’est leur régime alimentaire beaucoup trop viandard et beaucoup trop alcoolisé. Les hommes consomment deux fois plus de viande rouge et 2,5 fois plus d’alcool.

Les décès liés à l’alcool, directement ou indirectement avec les accidents de la route, ce sont principalement les hommes qui en font les frais. La viande rouge cause des maladies non transmissibles qui concernent davantage les hommes : des cancers colorectaux, des maladies neuro-cardio-vasculaires... Ils se tuent à petit feu..."

Et qu'en est-il de l'analogie femme/morceau de viande ?
d'après la philosophe Christiane Bailey citée par Marina Fabre dans LES NOUVELLES NEWS 

Extraits

... la domination des hommes sur les animaux est considérée, notamment chez Aristote, comme étant « naturellement juste ». Il est normal et naturel que les hommes dominent les femmes, tout comme il est dans l’ordre « naturel » des choses que les humains dominent les animaux. Et on ne saurait trop insister sur la façon dont les deux formes de domination se renforcent mutuellement....

...La politique sexuelle de la viande, étudiée par Carol J. Adam, montre que ce ne sont pas seulement les femmes qui sont animalisées (représentées aux côtés de coupe de viande ou littéralement présentées comme des morceaux de viande), mais également les animaux consommés qui sont féminisés (poulets en talons hauts, dindes en bikini, cochons avec du rouge à lèvres, etc.).

... L’association entre la chasse et la masculinité (virilité) remonte très loin dans la pensée occidentale. En Grèce antique, les citoyens allaient à la chasse pour se préparer à la guerre .... et la figure du chasseur-guerrier incarnait la représentation par excellence de la virilité.

Dans plusieurs cultures, la chasse est un rite de passage à l’âge adulte : le garçon devient un homme la première fois qu’il tue un animal.

Si les « vrais » hommes sont associés à des chasseurs et des prédateurs (lion, tigre, etc.), les femmes sont pour leur part surtout associées à des proies (gazelle, biche) ou à des animaux « domestiques » (dinde, vache, poule, etc.) considérés inférieurs et plus dociles et stupides que les animaux « sauvages »...

  

Exemples de femmes "à consommer" 

Affiches pour un restaurant de viande et pour la promotion de la viande (Canada) 

 

Qu'en est-il des hommes qui ne mangent pas de viande ? Aujourd'hui plus reconnu et accepté, incarné par des personnalités populaires, le végétarien a souvent souffert d'une image de faiblesse, de manque d'énergie, voire d'un manque de virilité 

"Les stéréotypes de genre sont tellement convoqués dans l’alimentation qu’un homme qui devient végétarien fait en quelque sorte sécession avec la masculinité hégémonique, c’est-à-dire la manière la plus acceptable d’être un homme. En adoptant un régime connoté « féminin », il essuie une présomption d’efféminité. Par le biais de la fameuse pensée magique conjuguée à l’infériorisation des femmes, légume égal féminin, égal faiblesse. Un homme végétarien serait donc moins un homme. Le mythe de la virilité, toujours…" Source
 

A l'inverse de celui qui avale le gigatacos de 2kgs de la chaîne O'Tacos et qui reçoit les félicitations de ses pairs (et du restaurant qui lui offre le repas)


"Si pour toi manger, c’est t’enfiler un kilo de côte de boeuf, ou minimum 5 burgers, la chaîne O’Tacos va te mettre définitivement K.O, et on t’assure que tu n’auras plus jamais faim…si tu arrives à finir le Gigatacos.Chez O’Tacos, seuls les estomacs les plus rodés arriveront à engloutir le tacos bien fat de 2kilos. Ce beau bébé culinaire contient du poulet, merguez, cordon bleu, nuggets, et du steak, histoire de varier les plaisirs. Pour la touche light, quelques tranches de salade, oignons et tomates viendront rafraichir ton plat. Et ce n’est pas fini, des frites et leur sauce fromagère devront se faufiler dans ton gosier..."

 (apprécions au passage l'aberration alimentaire d'une telle nourriture).


 

A la viande sont traditionnellement associées la force et la virilité : un vrai homme mange de la viande, parce qu'il en a besoin. Comme nous  l'avons vu plus haut, un homme végétarien sera plus facilement identifié comme une "mauviette" (même si cela change du fait de la prise de conscience des dangers d'une alimentation carnée pour la santé et pour la planète ). 

Ici c'est une femme qui en mange MAIS c'est pour le bien-être de l'enfant qu'elle porte, pour qu'il soit en pleine forme (toutes les personnes à qui nous avons demandé quel était d'après elles le sexe du fœtus ont répondu un garçon, même avant d'avoir vu la fin de la publicité...).

Pour aller plus loin, on peut aussi travailler sur la relation entre l'alimentation (dont la consommation de viande) et le dérèglement climatique et aborder la question de la souffrance animale.

"... L’élevage industriel dérègle le climat – il représente 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre –, confisque des terres au détriment des cultures destinées à l’alimentation humaine et participe largement à la déforestation, notamment en Amazonie. Quant à l’alimentation d’un foyer français, elle représente environ 25 % de ses émissions de gaz à effet de serre, soit autant que le transport et le logement.

Malgré les conséquences pour le climat, la souffrance animale et les bénéfices sociaux en termes de santé d’une alimentation plus végétale, les hommes demeurent les plus réfractaires au végétarisme...Source

... Ce que mangent les hommes émet 41% de gaz à effet de serre en plus que ce que mangent les femmes. Source

De même, on peut s'intéresser au rapport entre  consommation carnée et niveau social " ... les classes populaires mangent plus de viande que les plus aisées — mais de moins bonne qualité. En 2016, un ouvrier ainsi mangeait en moyenne 151 grammes de viande par jour, contre 113 grammes pour un cadre / profession libérale, selon le Credoc." 
 

LE CHOCOLAT

"... pour faire acheter aux femmes du chocolat – un aliment hypercalorique, la pub a trouvé la parade. Elle le dédiabolise en en faisant un plaisir sensuel, une source d’épanouissement : « Succombez à la tentation » ! Mais attention, succomber implique tout de même un péché. Le message déduit : déguster du chocolat ne vous fera pas grossir, comme en assure la femme très mince qui savoure le chocolat à l’écran, mais vous resterez coupable. Reste à compenser en mangeant moins ce midi ou en se consacrant à une heure de sport. À l’inverse, quand la pub s’adresse aux hommes en matière de chocolat, elle fait appel au « lion » en lui ou à « Mars », le dieu de la guerre..."  Source
 

Amal Fahim, ex-étudiant américain en sociologie ayant travaillé sur le chocolat, donne sur The Society Pages une explication à ce parallèle

« Le marketing du chocolat doit vaincre le facteur majeur qui inhibe la consommation des femmes : le fait que consommer une nourriture grasse et/ou sucrée est fondamentalement tabou pour les femmes, qui sont supposées surveiller leur poids.

Les publicitaires ont du coup remplacé ce tabou de la nourriture par un tabou sexuel. Ils ont transformé le chocolat en une expérience sexuelle, hédoniste, privée qui invoque un tabou similaire à celui de la masturbation.

L’intention est de provoquer une réponse automatique chez la femme, pour dépasser son instant d’auto-restriction : la croyance que la consommation de chocolat représente et rehausse sa féminité en la satisfaisant sexuellement, mais bien sûr gustativement. » 
https://www.madmoizelle.com/femmes-nourriture-pub-20288

 
 
 
 
La sensualité est donc mise en avant comme sur les photos ci-dessus. Toutefois la femme, coupable, n'avale pas une tablette de chocolat mais un carré délicatement sucé qui fond dans sa bouche comme elle fond de plaisir (et de culpabilité qui sait?).
 
Une publicité à commenter 
 
 

LES YOGOURTS 

Aliment féminin par excellence, sain, bon pour la santé, pour le corps surtout si il est allégé, le yogourt peut autoriser un peu de gourmandise en préservant le capital minceur ...

 "Perle de lait, une femme qui se fait plaisir est toujours belle"...

Ce travail permanent de contrôle du poids (% de matières grasses, le gras est l'ennemi des femmes) favorise la séduction (en direction des hommes) et permet d'être acceptée par une société grossophobe. La récompense en sera le plaisir, l'extase, la jouissance... car oui les femmes jouissent en mangeant des yogourts, dégustation qui remplace même parfois la relation amoureuse.

(Australie, 2010)

Objet de la publicité ? Cible de la publicité ? Univers professionnels ? Quels sont les aliments montrés ? Pourquoi certains sont acceptés et d'autres refusés ? Quel rapport à la nourriture ces femmes ont-elles (sauf la dernière) ? Dans quel cas la gourmandise est-elle autorisée ? Mettre à jour les injonctions corporelles faites aux femmes. Analyser la relation entre plaisir et contrôle.

"Si il ne m'appelle pas j'ai le droit de me consoler", sinon... pas de gourmandise possible. Seule la frustration autorise le péché de gourmandise, et on ne saurait pécher deux fois (le mec et le chocolat). Ici la jeune femme sacrifie son rdv amoureux à un plaisir solitaire ("hum... y'a que toi qui me fait ça") qui la fait fondre de plaisir...ce qui n'est donc pas le cas avec le garçon. La référence sexuelle est affirmée.

"Dites oui à vos envies"

Oui s'il n'y a pas de risque ; c'est un yogourt au chocolat (plaisir coupable) mais sveltesse (pas de prise de poids).

"Pourquoi rougir d'éprouver tant de plaisir ?"

Le plaisir pris est assimilé à un orgasme (voir les différents gros plans du visage de la femme), la situation évoque une femme "prenant du plaisir" (= se masturbant) presque surprise par son compagnon (plaisir coupable encore).

Ferme et fondant : l'allusion sexuelle est claire.

Nombreuses sont les publicités mettant en scène des images de femmes jouissant en mangeant un yogourt, une glace, un carré de chocolat... imagine-t-on les mêmes situations avec des hommes ? Pourquoi ?

Comparer les publicités de yogourts "pour femmes " à celles de yogourt "pour hommes".(voir ci-dessous)

Changement de valeurs pour ce yogourt, ici la force et la fermeté priment, à tel point que l'homme mange son yogurt à la fourchette (!) tellement il est "dur" et "ferme" (connotations sexuelles évidentes). Les femmes, elles, se contentent d'une cuillère (ronde, incurvée), leur yogourt est fondant, onctueux.
L'habillage du produit change : point de blanc ou de couleurs fruitées, le noir domine, la couleur du marketing à destination des hommes (voir les déodorants et les shampoings par exemple).

Point de douceur, de volupté mais une force décuplée (l'homme brise des noix à mains nues).

Voir aussi :

 

 

Les codes couleurs sont immédiatement identifiés comme masculins reprenant ceux utilisés dans les produits de toilette. La forme des yogourts Danone pour homme n'est pas ronde (trop féminin) mais a des angles. Le "powuful yogurt" est lui pleinement "adapté aux besoins nutritifs des hommes" et valorise leurs "abdos"... on le voit le marketing ne recule devant rien pour faire manger des yogourts aux hommes.

D'autres publicités à commenter/analyser : 

YOPLAIT FORME (2010)

YOPA de YOPLAIT (2014)

et pour une glace

Glace EXTREME, NESLÉ (2014)


LES CÉRÉALES

Les céréales du petit déjeuner, beaucoup trop sucrées, sont néfastes pour la santé ; les femmes ont droit aux "Kellogs spécial K" pour garder la ligne car il semble bien que leur rapport à l'alimentation soit principalement guidé par cet impératif qui leur permet de conserver la minceur garante de leur pouvoir de séduction (voir plus bas).

Ici le "super héros de la cuillère, capitaine cuillère" (?) a le "lion style": le lion est le roi de la jungle, symbole de force et de domination. Il rugit pour montrer sa force, pour faire peur.

Dans ces céréales, le chocolat n'est plus "fondant" (voir les crèmes, yogourts "pour filles") mais "indomptable", les céréales croustillants et le lion est wild, autrement dit sauvage, encore plus puissant.

Il est par ailleurs intéressant de voir que l'acteur de la publicité n'est pas un top modèle, la puissance est en elle-même un atout suffisant.

"Pour se sentir spéciale tous les jours".

Ici les céréales rendent les femmes légères, voire aériennes... Surtout ne pas peser...  il est impératif pour les filles, les femmes de conserver la ligne, à croire que c'est un objectif de vie.

Ces femmes donc sautent, volent, dansent, on croirait une publicité pour un déodorant, ou pour une protection intime, toutes ces publicités qui mettent en avant la légèreté et souvent la propreté, voire la pureté : ici les fibres favorisent le transit (ventre plat), ce qui est bien sûr important, mais pas forcément un argument marketing mis en avant dans les céréales pour super-héros....

(sur les mêmes Kellogs, voir aussi : https://www.dailymotion.com/video/x3mwvb2


 SURTOUT NE PAS TROP MANGER QUAND ON EST UNE FEMME !     

Se contrôler en permanence, commander une salade au restaurant alors qu'on lorgne sur la pizza, consommer des produits allégés, tester des régimes alimentaires, sauter des repas, ne pas avoir l'air trop goulue, ne pas manger trop vite... même si la gourmandise est souvent vue comme féminime, elle reste charmante tant qu'elle est contenue et "raisonnable". Les femmes se doivent de rester minces,vivent dans la peur de prendre du poids,  le contraire indique un "laisser aller" qui dénote une faiblesse de caractère (ou qui sait, un rejet des normes et de la séduction ?) . Pour être appétissante une femme doit contrôler son appétit. 

Un livre

« Mangeuses. Histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès », de Lauren Malka, préface de Ryoko Sekiguchi, Les Pérégrines, « Genre ! », 288 p.

L'article du Journal Le Monde sur le livre

Extrait

"Manger sans vergogne semble être en effet un comportement réservé aux hommes. C’est entre mecs, le plus souvent, que se tiennent les grandes ventrées, la gent féminine n’étant pas conviée aux ripailles. La cuisine de tous les jours s’exerce au féminin, mais la vraie, la grande, la haute cuisine serait d’abord affaire masculine, dans sa consommation comme dans sa production. Le développement de la gastronomie et l’essor des restaurants depuis le XVIIIe siècle le confirment : sous la férule du « chef », la « brigade » se met en « ordre de bataille » pour le « coup de feu ». Vocabulaire, hiérarchie, discipline sont militaires et virils."

et celui de la Newsletter Les Glorieuses 

Extrait

Rebecca Amsellem – La frustration alimentaire fait l’objet, chez les femmes, d’un apprentissage qui dicte un rapport durable. Cela commence tôt. Dans votre ouvrage, vous citez l’anthropologue Françoise Héritier affirmant que la tendance est aux mères à laisser plus de temps aux garçons qu’aux filles durant les premières tétées. « C’est la création culturelle, dès la naissance, dès le premier jour, de ce que j’appelle “deux races d’humains”, la race des hommes à qui l’on dit : vos pulsions, vos désirs sont légitimes et peuvent être satisfaits immédiatement et celle des femmes à qui on dit : la frustration sera votre lot. »

Lauren Malka – À chaque fois que je repense à cette phrase, je me rappelle que, dès que les filles naissent, elles apprennent que la frustration sera leur lot. Et on ne parle pas que d’appétit alimentaire. On parle d’appétit sexuel, de savoir aussi. À ce propos, la sociologue Anne Dupuy – qui a écrit un livre de référence sur les plaisirs alimentaires dans le milieu familial – a mis en lumière que, dès l’âge de trois ans, les filles sont à la fois poussées à la gourmandise, comme s’il y avait une nature plus gourmande de la petite fille et en même temps, on leur tape sur les doigts au moment où elles mettent la main dans le pot de confiture. Il y a cette double injonction qui s’installe : être encouragée à correspondre à la nature

Une image

resto avec ton frère, ta soeur

Le léger (et le diététique) pour les filles, le bien lourd, le bien gras pour les gars !

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